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Préambule

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Je pourrais dès les premières lignes de ce livre vous mener par le bout de mon ignominie, masquer mon identité, ma véritable nature ; ce serait très facile pour moi, car je ne vous le cache pas, je suis passé maître dans l’art de la fourberie et de la manipulation. Mais je n’en ferais rien ; je vais être franc avec vous, ainsi, vous ne pourrez pas vous plaindre d’avoir été dupé.

Je suis présent dans chaque âme. Aucune n’échappe à mon funeste pouvoir, même si certaines me résistent. Je m’amuse d’elles, de leur faiblesse, de leur dualité, mais par-dessus tout je prends un immense plaisir à embobiner ceux qui croient me connaître ou osent me nommer.

Voilà une éternité que je tourmente les hommes et les femmes et que j’épouvante les croyants. Mon agenda est très chargé, mais que voulez-vous, la nature humaine ne me donne pas d’autre choix que de hanter son esprit. Je dois cependant vous avouer que j’éprouve un malin plaisir à accomplir ma besogne. C’est un véritable délice que de manipuler l’humain, surtout de lui faire croire qu’il est aux commandes de sa vie !

Des siècles et des millénaires sont passés et je suis encore là. Mais mon existence n’a pas été que pure réjouissance. La tâche n’a pas toujours été facile, mais la plupart du temps, je m’en suis bien sorti… très bien même.

Je suis le pire cauchemar de l’homme. Celui qui le hante depuis des millénaires, cette force obscure qu’il nomme « le mal » et qui le poursuit, où qu’il aille, quoi qu’il fasse. Il ne peut s’en défaire et je ne suis pas près de le laisser s’affranchir de ma funeste emprise.

Je tiens l’être humain par le bout de ses contradictions, de ses peurs et de son ignorance. Il ne peut échapper à ma malice, à ma fourberie et à ma nature parfaitement immorale. Il ne peut rien faire le pauvre homme, car je suis ce qui se fait de mieux en matière de manipulation et d’indignité. Je suis le penseur de ses pensées, le décideur de ses actes, et tant qu’il règnera du haut de sa tour égotique, il ne pourra pas m’échapper. Son ignorance constitue le parfait terreau à mes abjects desseins. Je me régale de le voir prôner paix, amour, bienveillance, alors que lui-même n’a aucune idée des fondements même de son bien-être.

Je me plais à l’entretenir dans des abysses d’incompréhension, des profondeurs abritant une vase pestilentielle d’où surgissent ses instincts primaires. Le pauvre, s’il savait ! S’il savait qui j’étais, il ne se donnerait pas tant de mal à me combattre !

J’ai vécu des périodes de grandes exaltations. L’arrivée du christianisme et l’obscurantisme qui a régné durant des siècles ont été un régal pour moi. Une période sublime ou l’homme, ignorant qu’il était, jugeait, pillait, brûlait et tuait au nom de mon pire ennemi, celui qu’ils appellent Dieu. Plus tard, hélas, le Siècle des lumières a éclairé quelque peu l’âme humaine et a pour le coup terni mon aura. Les hommes et les femmes se sont mis à réfléchir autrement qu’à travers leur croyance et il en a résulté un recul de passion et de ferveur envers leurs multiples dieux.

Bien plus tard, un dénommé Freud est venu contrarier mes plans. Quelle idée de vouloir expliquer rationnellement les tourments de l’être humain à grand renfort de théories psychologiques ! Ne peut-on, comme par le passé, laisser les hommes donner une raison divine à leurs souffrances ? Mais ce n’était rien, comparé à ce qui allait s’annoncer durant ce vingtième siècle et qui allait compliquer un peu mes affaires. Durant cette période, les progrès scientifiques mirent au rancard bien des croyances. Fini le bon temps où l’orage était l’œuvre d’Odin ; la peste, la lèpre, l’épilepsie, la folie, la manifestation du malin. En somme, là où en toute tragédie s’incarnait dans l’œuvre de Satan. Mais n’allez pas croire que mon règne s’est éteint pour autant ! Que nenni ! Même en ce vingt et unième siècle, malgré le matérialisme forcené de mes ouailles, ma force consiste à régner dans les esprits les plus athées ! Là sont d’ailleurs ma plus grande fierté et ma plus belle source de satisfaction !

Pervertir un homme est une chose. Mais l’égarer quand il se croit libre de toute pression religieuse et idéologique constitue pour moi une extrême jouissance et l’illustration parfaite de mes pouvoirs. Il est vrai que les siècles passants, je me suis lassé des guerres de religion et des procès en inquisition. Ce fut amusant au début, mais cela tourna trop rapidement en une farce grotesque. Les hommes devenaient trop prévisibles. Juger ses contemporains d’hérétiques pour ne pas avoir suivi les préceptes de l’Église ne me semblait pas être la forme de perversité la plus aboutie. Après quelques siècles de tueries en mon nom, mais surtout au nom de leur dieu, j’ai fini par me lasser, et même prendre cette mascarade inquisitoire pour une insulte à mon honorable personne et à ma subtile emprise diabolique.

L’on dit de moi que je suis abject, malin, rusé, calculateur, manipulateur, indigne… En somme, que je suis une crapule qui dégrade tout sur son passage. Je dois dire que c’est l’exacte vérité. Je réunis à moi seul tous les maux et toutes les souffrances de la Terre. Mais à quoi bon l’avouer puisque j’en suis si fier !

À présent, laissez-moi vous conter mon histoire. N’ayez pas peur, vous verrez, elle est captivante ! Mais au fait, ne vous l’ai-je pas encore dit ? Je suis votre part obscure, votre ombre qui vous enferme dans les ténèbres… Je suis le malin !

 

 

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L’attente

 

6e mois lunaire – ère du Cénozoïque

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En ces temps reculés où le « chimpanzhomme » n’était qu’une variante entre le primate et l’homo sapiens, je me suis ennuyé ferme ! Entre temps, j’ai bien essayé de pervertir l’animal, mais je m’y suis cassé les dents. Ce dernier, de nature instinctive, ne répondait à aucune de mes invectives. Quelle idée de n’avoir comme simple fonction psychique que l’instinct ! Je ne pouvais rien obtenir de ce cerveau reptilien d’où ne pouvait surgir la moindre once de perversité. N’ayant alors aucune emprise sur lui, j’ai finalement renoncé à le débaucher. Bref, j’ai perdu mon temps pendant environ sept millions d’années à vouloir damner l’animal !

Las de m’agiter dans le vide, j’ai donc attendu que l’évolution des espèces fasse son œuvre. Cette période m’a paru bien longue, mais de millénaire en millénaire, ma patience a été récompensée. Alors que le règne animal se développait naturellement, un genre particulier s’est mis à évoluer de façon différente en commençant par se dresser sur ses deux pattes. Tapis dans mon coin, ne sachant que faire, je me suis farci toute l’échelle de l’évolution des primates, du Sahelanthropus tchadensis au Néandertalensis. Puis, j’ai dû attendre patiemment l’arrivée de l’homo sapiens pour pouvoir enfin m’amuser de lui. Il me semblait assez évident que seul un individu pensant et conscient de lui-même pouvait être perverti. Je savais qu’à partir du moment où mon bipède allait commencer à réfléchir, je pourrais inoculer mon venin dans ses pensées.

Malgré cette remarquable évolution, ce n’était pas la panacée. Je n’avais qu’un faible pouvoir sur l’homme lorsqu’il passait son temps à survivre dans des cavernes, à grommeler, se chercher des poux dans la tête, et, de temps à autre, se distribuer quelques baffes. L’Australopitécus, le Cro-Magnon et le Néandertal étaient d’un ennui mortel ! Comment instiller la notion de mal dans de tels esprits ? Autant demander à un lion de ne pas manger une gazelle au seul motif que cela n’est pas bien et immoral !

L’homme était encore instinctif, et son néocortex pas parfaitement au point pour que je puisse me loger dans son esprit et le corrompre. Même plus tard, leur culte de la nature, l’adoration de quelques déesses aux fessiers bien dodus et leurs rites rudimentaires n’ont pas permis à ma subtile malfaisance d’exprimer tout son potentiel. Il m’a donc fallu attendre des centaines de milliers d’années pour voir apparaître l’homme moral, et par conséquent, religieux.

C’est alors que les choses sont devenues intéressantes, surtout lorsque l’homo sapiens s’est mis à échafauder quelques théories sur son existence, à se demander pourquoi il était là et ce qui allait advenir de lui. Je savais bien que dès lors que mon hominidé commencerait à chercher le sens de sa vie, il en perdrait tout son sens. Tout comme un enfant qui devient « intéressant » dès son âge de raison, l’homme moderne allait me passionner et devenir mon terrain de jeu favori.

Il vous sera ainsi conté durant ce long voyage, quelques-unes de mes fourberies, de mes coups de maître, mais aussi les rares échecs que j’ai essuyés auprès de gens éveillés. Car je dois dire que j’ai rencontré le long des siècles, quelques âmes qui m’ont donné du fil à retordre. Malgré tout, et en toute humilité, mes entreprises ont le plus souvent réussi. L’être humain n’est pas près d’atteindre ou de dépasser son maître ; qu’il soit Dieu ou le diable !

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